Assurance maladie au Québec: «40 ans, y’a de quoi fêter!» - la Dre Marie-Claude Goulet

Elle n’était même pas née à l’avènement de l’assurance maladie pour tous. Pourtant, elle la défend bec et ongles. Depuis peu présidente de Médecins québécois pour le régime public, la Dre Marie-Claude Goulet, 30 ans, s’insurge contre la prétention du privé à se poser en sauveur.L’assurance maladie pour tous a 40 ans. Y a-t-il de quoi fêter?Oui, absolument. Nous avons fait le choix collectif, en 1970, d’un système de santé public. Il a aussi constitué jusqu’ici un puissant facteur de cohésion sociale. En juin, nous allons célébrer cet héritage qui constitue une formidable avancée au plan du bien commun.Pourquoi cette cause vous tient-elle tant à cœur?J’agis par fidélité à moi-même. J’ai grandi dans une famille qui m’a sensibilisée à la défense d’une société juste pour tous et toutes. Pour moi, défendre le système public, c’est d’abord penser au bien-être de mes patients.Et pourquoi pas le privé?Parce que la majorité des patients que je traite depuis que je pratique provient de milieux défavorisés. En aucun cas ils n’auraient les moyens de se payer une médecine privée. Ils ne pourraient que souffrir de l’accès réduit aux soins qu’induirait le recours au privé. La plupart des médecins vous diraient sans doute la même chose à ce chapitre.Le simple fait d’offrir des soins dans une clinique à but lucratif mine la façon de traiter les gens et affecte le rapport médecin-patient.Que reprochez-vous donc au privé dans le secteur de la santé?Sa logique intrinsèque, axée sur l’intérêt des actionnaires, non sur le meilleur intérêt du public. Le marché ne prend que ce qui l’intéresse, là où il fait un profit, et délaisse le reste. Seul le public a et peut avoir une vision sociale inclusive. De plus, le privé agit comme un parasite du public, dans la mesure où il profite de ses failles tout en se faisant financer par lui.La santé est une question complexe, vivante, dont il faut prendre en compte tous les aspects. Le privé, qui n’a rien du philanthrope, ne s’intéresse qu’à ceux qui lui rapportent. Par essence, il ne retient que ce qui fait son affaire. Là, on est loin du bien commun. C’est pourquoi le privé m’apparaît plus dangereux pour l’accessibilité aux soins que les ratés de la médecine étatisée, que l’on peut corriger.Que suggérez-vous alors?De continuer à offrir des soins de haute qualité à tous, de façon la plus cohérente, intégrée et accessible possible. C’est ça, le public. Que tout le monde soit traité non selon ses moyens, mais selon ses besoins.Les solutions publiques existent, il faut miser sur elles. Un comité conjoint FMSQ-MSSS travaille déjà à améliorer l’accessibilité aux blocs opératoires; les résultats sont impressionnants. Inspirons-nous aussi de ce qui se fait ailleurs au Canada pour améliorer l’accessibilité, diminuer les listes d’attente, etc. Mieux vaut choisir des solutions publiques.Que pensez-vous du fait que certains professionnels de la santé, comme les infirmières, quittent le système public?On pourrait commencer par instaurer plus de souplesse dans leur horaire de travail. Les infirmières qui choisissent le privé ne le font pas par idéologie, mais parce qu’elles y trouvent des avantages concrets, surtout en matière de conciliation travail/famille. Prenons-en acte et rectifions le tir.Qu’est-ce qui vous dérange le plus?La persistance d’un certain discours catastrophiste, qui nous veut au bord du gouffre. Notre système serait à la veille de s’effondrer. Ce discours sert les intérêts d’une minorité de personnes persuadées que le privé va nous sauver. Ils veulent nous en convaincre. Le privé est une mauvaise solution pour le plus grand nombre, c’est démontré. Il coûte plus cher, avec moins de patients desservis.Selon vous, le privé s’insinue pernicieusement. Avez-vous des exemples?Depuis le jugement Chaoulli, le gouvernement a levé l’interdiction de souscrire des assurances privées pour certains actes. Il a créé les Centres médicaux spécialisés (CMS), seuls lieux où pourront être réalisées certaines chirurgies hors de l’hôpital. Ces CMS introduisent la logique de marché, avec la présence d’investisseurs privés dans leur CA.Il existe déjà des laboratoires d’imagerie médicale privés. J’entendais à la radio la publicité d’une clinique de radiologie à Laval invitant à passer une tomographie par émission de positons (PET scan) pour détecter un cancer. «Vous avez peur de cette maladie? Venez passer le test.» Ensuite, retournez voir le système public pour qu’il se débrouille avec ça! C’est de la mauvaise médecine et c’est inadmissible. De plus, notre code de déontologie ne nous interdit-il pas de faire de la publicité auprès des patients?Voyez aussi les bilans de santé, au sens large, qu’offrent certaines cliniques privées. Elles font passer des prises de sang et autres tests inutiles, seulement parce qu’elles ont un «deal» avec les labos. On multiplie les tests, car c’est payant de le faire. La logique du privé réside dans le profit, et non dans une médecine rationnelle, humaniste et fondée sur les données probantes. Comment pourrait-il en être autrement? Lire la suiteLes priorités d’action de MQRP1- Remettre la couverture publique des actes médicalement requis, dispensés hors de l’hôpital et exclus de façon arbitraire de l’assurance publique (échographie, tomographie, IRM, etc.). «Cette situation génère une inégalité dans l’accès, sauf si vous avez des sous ou une bonne assurance privée. Le même radiologue travaille à deux endroits (public et privé) et a une double liste d’attente. C’est sans doute ce qu’il y a de plus flagrant en termes d’iniquité et d’accessibilité.»-Dre Marie-Claude Goulet.2- Mettre fin aux frais accessoires facturés aux patients lors d’actes posés par des médecins participants, généralement en dehors de l’hôpital. Tolérés, ces frais sont la plupart du temps illégaux et minent le caractère universel et accessible des soins, selon la Dre Goulet. MQRP va demander au ministre de la Santé et à la RAMQ d’y mettre fin en appliquant rigoureusement l’interdiction prévue dans la loi.«Norman Bethune, mon modèle»«Norman Bethune (1890-1939) a toujours été pour moi une source d’inspiration. Il a été l’un des premiers à défendre l’idée d’un système de santé public universel dans les années 1930. Voici une citation tirée d’une allocution datant de 1936, lors d’un débat public sur les soins de santé:«La façon la plus simple de protéger adéquatement la santé des gens serait de remplacer le système économique qui produit la maladie, et d’éliminer l’ignorance, le chômage et la pauvreté. Le système en vertu duquel chaque individu achète les soins médicaux qui lui sont nécessaires ne fonctionne pas: il est injuste, inefficace, coûteux et complètement désuet. La socialisation de la médecine et l’abolition, ou la restriction de la pratique privée, semblent donc être la solution la plus réaliste du problème. Purifions la médecine de la notion de profit individuel, purifions notre profession de la rapacité individualiste. Faisons en sorte qu’il soit enfin mal vu de s’enrichir aux dépens de la misère humaine.»-Dre Marie-Claude GouletLe parcours de la Dre Goulet-Médecin à l’hôpital Saint-Luc (CHUM);-Médecin dépanneur au Nunavik;-Médecin bénévole pour Médecins du monde auprès de populations marginalisées de Montréal;-Membre fondateur du Comité de lutte anti-marketing pharmaceutique, à l’Université de Montréal;-Divers séjours dans les communautés autochtones zapatistes du Chiapas;-Engagement social et politique (droit au logement et à l’alimentation), au Comité social Centre-Sud;-Stage de santé publique à La Havane (Cuba);-Bac en sciences biologiques et doctorat en médecine, avec résidence en médecine familiale (CLSC des Faubourgs – Université de Montréal).

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