«Appelons un chat un chat. De l’aide médicale à mourir, c’est de l’euthanasie» -- Dr Yves Robert

Le comité Ménard était chargé d'étudier quelles solutions s'offraient au Québec sur le plan juridique pour que les recommandations de la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité puissent être mises en oeuvre tout en évitant une confrontation avec le fédéral.Les juristes ont remis leur rapport à la ministre Véronique Hivon à la mi-janvier.Le Collège des médecins du Québec aura exercé une profonde influence sur cette question en s’ouvrant à la possibilité d’une aide médicale à mourir dans certaines situations particulières.Au cours d’un long entretien avec L’actualité médicale, le Collège, représenté par son secrétaire, le Dr Yves Robert, a commenté plusieurs aspects de ce rapport.Le comité Ménard parle beaucoup d’aide médicale à mourir. Faites-vous une distinction entre euthanasie et aide médicale à mourir?Je suis prêt à accepter l’expression «aide médicale à mourir», mais je partage un peu l’agacement de certains groupes opposés à l’euthanasie, pour qui c’est une forme d’euphémisme.J’ai tendance à appeler un chat un chat. Je n’ai aucun problème à parler d’euthanasie. Pour moi et pour le Collège, de l’aide médicale à mourir, c’est de l’euthanasie.Comment recevez-vous les recommandations du comité?En terme de contenu, je pense qu’il est très prudent et qu’il s’inspire beaucoup de la position que le Collège avait rendu publique en novembre 2009 et qui avait donné naissance un mois plus tard à la création de la Commission spéciale.Notre point de vue, c’est qu’en certaines situations exceptionnelles où une maladie est incurable, que la mort est imminente et inévitable et que la souffrance ne peut être traitée par les traitements médicaux conventionnels, des actions s’inscrivant dans un continuum de soins qui pourraient être assimilées à un abrègement de la vie, sinon de l’agonie de la personne, pourraient être posées afin de faire en sorte que sa mort soit plus humaine. C’est un peu la même philosophie qu’a reprise Me Jean-Pierre Ménard.Comment voyez-vous l’ouverture à l’euthanasie proposée par le comité Ménard?C’est une ouverture très restrictive. Il ne semble pas y avoir de volonté d’ouvrir la porte très largement. Il n’y a pas d’autres pays qui ont ouvert tout d’emblée à toutes les situations Je pense qu’on a besoin de faire nos classes..Ce qui veut dire?Autant pour la profession médicale que la société, il va falloir développer une certaine expérience et mettre en place les mécanismes de contrôle avant de penser à élargir la portée d’une loi à d’autres groupes exclus pour l’instant.Il faudra faire la preuve qu’il n’y a pas de pente glissante et de permissivité et s’assurer qu’il n’y a pas d’abus. Des questions vont rester délicates, celle des mineurs et celles qui touchent le début de la vie.Ces deux dernières situations sont différentes pour vous?Je distinguerais la néonatalité des autres enfants déjà nés et chez qui apparaissent des problèmes graves, comme les cancers pédiatriques.Si la médecine a augmenté la longévité, a-t-elle la responsabilité d’abréger l’existence quand un patient en fin de vie traverse beaucoup de souffrances inutiles?Ce n’est pas la médecine qui va décider. Il faut que ça vienne d’un processus décisionnel commun entre le médecin et le patient. Ce ne sont pas tous les patients qui vont souhaiter une aide médicale à mourir. L’important, c’est qu’ils sachent qu’ils pourraient l’obtenir s’ils voulaient l’avoir. Ça demeure une option.L’euthanasie pourrait-elle aller jusqu’à l’aide au suicide?Il semblerait que Me Ménard a retenu l’orientation déjà exprimée par le Collège sur ce point. Il a exclu les notions de maladies dégénératives ou d’euthanasie préventive où, par exemple, une personne a reçu un diagnostic de maladie dégénérative et réclamerait une aide au suicide sans être en phase finale, ou un quadraplégique qui estime que sa vie ne vaut pas la peine d’être vécue.Est-ce que la société québécoise et le milieu médical sont au diapason sur l’euthanasie ou y a-t-il un clivage sur cette question?Mon impression subjective, c’est que nous sommes probablement bien ajustés. Les opposants médicaux ont beaucoup utilisé la tribune de la Commission pour exprimer leur point de vue, ce qui était légitime. Mais, selon nous, ça ne représente pas nécessairement la majorité des membres du Collège.L’impression que nous avons, c’est que malgré des réserves, le corps médical serait ouvert, mais de façon extrêmement restreinte et dans des situations très particulières, où une agonie se prolonge indûment dans la souffrance.Donc, selon le Collège, les médecins québécois seraient prêts à s’engager dans l’euthanasie.C’est notre sentiment. Mais il faut bien comprendre qu’il ne s’agit pas d’un début de décriminalisation, comme des opposants l’ont affirmé, ou un début d’eugénisme ou de pente glissante, tel que le prétendent plusieurs personnes.L’approche proposée par Me Ménard est même un plus restreinte que certaines [propositions] de la Commission, qui avait ouvert la possibilité d’ouvrir l’euthanasie à certaines maladies dégénératives sans que la mort soit imminente. Le rapport Ménard n’est pas allé si loin.Le fait que la société québécoise aspire à la possibilité de l’euthanasie va-t-il marquer une révolution ou une époque charnière de la pratique médicale au Québec?La profession médicale a-t-elle connu autre chose que des révolutions? L’avortement en a été une au plan médical et social. C’est sûr que la perspective d’offrir une aide médicale à mourir présente de nouveaux défis déontologiques, mais il y en aura d’autres dans le futur.Le processus qui semble conduire le Québec à autoriser l’euthanasie est-il irrémédiable? Ses opposants doivent-ils se résigner?Question intéressante. Je ne pense pas qu’un médecin qui a la conviction qu’il ne doit pas tuer son patient doit se résigner.Comme pour l’avortement, il ne sera pas obligé de poser cet acte. Il doit continuer à avoir ses convictions, mais il doit comprendre que son patient peut avoir des valeurs différentes des siennes, et que la profession médicale ou la société tentent de trouver une façon de répondre aux besoins de cette personne.Est-ce que le sujet de l’euthanasie est présent de façon irrémédiable? Oui, et ce n’est pas unique au Québec. Ce débat est en cours dans plusieurs provinces canadiennes et dans le monde entier. C’est une question du 21e siècle.Certains prétendent que les médecins opposés à l’euthanasie craignent une perte de pouvoir sur la vie, qui va passer entre les mains des patients.S’il y a une perte de pouvoir, elle n’est pas survenue avec le débat sur l’euthanasie, mais avec la révision du Code civil en 1994, où on a confirmé le droit des patients à refuser un traitement.L’objectif avec l’euthanasie, ce n’est pas une perte de pouvoir, mais un partage de pouvoir. Il faut aussi se rappeler qu’un patient qui ne répondra pas aux critères sera refusé.Le Code criminel ne permettra pas à un médecin d’abréger la vie d'un patient, mais à l’inverse, il sera impensable qu’il lance l’initiative auprès de lui.Le caractère sacré de la vie, qui d’après les experts s’appuie sur des fondements religieux, est-il un argument qui tient dans le débat actuel sur l’euthanasie?C’est un argument qui tient pour ceux qui ont ces croyances. Mais regardez ce que dit le Code civil et la Chartre des droits et libertés. Un individu peut avoir des croyances et les pratiquer, il n’y a aucun problème à ce niveau. Toutefois, une personne qui a des croyances doit respecter celui dont les croyances sont différentes des siennes.Un médecin opposé à l’euthanasie a le droit d’apporter une objection de conscience, mais il doit éventuellement diriger le patient vers un autre médecin qui n’aura pas cette croyance.Une loi permettant l’euthanasie selon certaines balises mettrait-il un terme aux recours juridiques?Non. Ça pourrait régler certaines situations, mais il pourra toujours survenir des cas litigieux, où le patient et le médecin, ou l’équipe traitante, ne partagent pas le souhait exprimé par le patient. Dans des cas de litiges de cette nature, l’une ou l’autre partie pourrait toujours aller devant les tribunaux.Le Code de déontologie des médecins permettrait-il actuellement l’euthanasie?Ça ne l’exclurait pas, selon l’interprétation de l’article 58, qui dit essentiellement que lorsqu’un patient arrive en fin de vie, le médecin doit lui fournir les soins de fin de vie requis par sa condition pour mourir dans la dignité. Est-ce que l’euthanasie entre dans ces soins de fin de vie? Notre interprétation est que oui.L’article 58 serait-il précisé ou renforcé pour le rendre encore plus clair au sujet de l’euthanasie, si elle devient permise ?Ce n’est pas encore déterminé au moment où l’on se parle. Contrairement au comité qui révisait le Code, nous ne sommes pas encore arrivés à la conclusion que la formulation méritait une modification ou une addition quelconque. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne pourrait pas le faire éventuellement. Mais notre sentiment général, c’est que la formulation actuelle est adéquate.Des médecins ont-ils déjà été poursuivis par le Collège pour avoir pratiqué l’euthanasie?À ma connaissance, non.Craignez-vous un déchirement ou un schisme au sein du corps médical québécois si l’euthanasie est autorisée?Est-ce qu’on a vu un déchirement sur la question de l’avortement… ? Est-ce qu’il va y avoir des médecins qui vont s’y opposer à l’euthanasie? La réponse est oui. Cette chose dite, cela voudra-t-il dire que l’on ne tiendra pas compte des objections de conscience? La réponse est non.L’un des arguments avancés par les opposants est que l’euthanasie pourrait affecter négativement la relation médecin-patient. Qu’en pensez-vous?Plusieurs médecins du milieu des soins palliatifs et la presque totalité des patients avec lesquels je me suis entretenu pensent exactement le contraire. «Enfin, disent-ils, nous pourrons parler sans réserve de nos vraies préoccupations autour de la mort.»Ces patients y voient comme une permission de parler de ce sujet et une obligation pour les médecins de les entendre. Ce que je pense, c’est que les médecins opposés à l’euthanasie souhaitent ne pas entendre leurs patients leur faire cette demande.Le comité Ménard a demandé au Collège dans son rapport de clarifier la question de la sédation terminale. Qu’entendez-vous faire?La Commission elle-même nous avait la même demande. C’est incontestablement un sujet sur lequel il va falloir produire une publication afin de guider nos membres sur les bonnes pratiques autour de la sédation terminale, bien la comprendre et bien l’utiliser.Entendez-vous produire une ultime consultation auprès de vos membres autour de la question de l’euthanasie après le dépôt du projet de loi?Au moment où je vous parle, un tel processus n’est pas prévu. Si certains de nos membres veulent exprimer leur point de vue auprès du Collège, ils n’ont qu’à le faire, ils n’ont pas à attendre notre invitation.Mais à partir du moment où il devient la responsabilité du gouvernement de légiférer sur l’euthanasie, je ne vois pas pourquoi on consulterait notre membership de façon élargie. Notre position avait été adoptée par le conseil d’administration du Collège.Nous aurons toujours le souci des bonnes pratiques médicales et de la protection du public, qui inclut la possibilité d’encadrer des pratiques qui sont actuellement clandestines.

«Appelons un chat un chat. De l’aide médicale à mourir, c’est de l’euthanasie» -- Dr Yves Robert

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