AMM: «Obliger les médecins à référer à un collègue va à l’encontre de l’éthique médicale»

Dr Shawn WhatleyCe n’est pas ce que les médecins sont obligés de faire qui importe. C’est le fait qu’ils y soient obligés, point. La semaine dernière, les tribunaux ont appuyé la politique du Collège des médecins et chirurgiens de l’Ontario qui oblige les médecins réticents à pratiquer l’aide médicale à mourir (AMM) à référer leurs patients à un collègue. Qu’est-ce que ce sera la prochaine fois?Obliger les médecins à référer va à l’encontre de tout ce qui sous-tend la médecine, la science, l’éthique médicale et la philosophie politique occidentale.Il faudra plusieurs textes pour régler la question. Dans celui-ci, je ne peux que présenter son absurdité.Obligés de référerLe tribunal a jugé que le droit d’accès des patients aux soins de santé l’emportait sur le droit à la liberté de religion et de conscience des médecins en matière d’AMM et des «autres questions litigieuses». Les médias sociaux ont rendu leur propre verdict : les médecins doivent faire ce que veulent les patients, point final. Les médecins sont donc des techniciens qui exercent conformément aux directives et aux normes de soins acceptées.Les principaux médias et groupes d’activistes ont applaudi la décision. La question est réglée. Les médecins religieux doivent garder la religion en dehors de la clinique. Ils doivent se taire, référer ou arrêter la médecine.Un non-sensLes foules qui défendent la justice populaire, comme toute foule, se complaisent dans l'absurdité. Adeptes de la moralisation, elles clament des solutions péremptoires à des problèmes complexes en se basant sur les sophismes et l'ignorance.Non-sens religieux : la plupart des infirmières ne sont plus des religieuses et les médecins ne sont ni des prêtres ni des pasteurs. La plupart des médecins et des infirmières, même religieux, ne font jamais entrer la religion dans les soins cliniques. Je n’ai jamais vu de professionnels de la santé lire des textes religieux ou tenir des chapelets au chevet du patient. Si un patient parle de religion, la plupart des médecins suivront, quelles que soient leurs croyances personnelles ou l’absence de celles-ci. Il ne fait aucun doute que les médecins religieux considèrent souvent la religion comme le fondement de la moralité et de la prise de décisions éthiques. Mais les docteurs non religieux partagent souvent les mêmes mœurs et prennent des décisions identiques sans aucune référence à la religion. Quelques médecins utilisent leurs croyances comme prétexte pour ne pas pratiquer certains services. Je sympathise avec eux, mais je ne pense pas qu’ils aient besoin de cette hypothèse. Les mêmes docteurs religieux n’utiliseraient jamais la religion pour argumenter pour quoi que ce soit d’autre sur la place publique. Pour la plupart, ils n’ont pas besoin d’utiliser la religion dans leur argumentation ici non plus. Réduire l’obligation de référer à de l’intolérance religieuse de docteurs fanatiques n’est rien de plus qu’un non-sens réductionniste.Non-sens des droits : Le « droit d’accès » aux soins de santé n’existe pas dans la Charte canadienne des droits et libertés. La Cour suprême du Canada (CSC) a inventé ce droit en mentionnant le « droit d’accès » dans l’arrêt Carter sur l’AMM. Les démocraties libres et représentatives ne se contentent pas de choisir des services et d’inventer des « droits d’accès » aux services que doivent fournir d’autres citoyens. Les tribunaux ne peuvent pas inventer un « droit d’accès » et ensuite décider que les médecins sont tenus de le respecter. Si le gouvernement veut créer un droit d’accès et mettre à jour la Charte, il doit trouver un moyen de respecter cette obligation. Pousser les citoyens à respecter un droit inventé par les tribunaux n’est pas censé exister dans les démocraties occidentales.Lignes directrices et non-sens des soins : plusieurs personnes ignorantes, et même certains médecins, défendent l’idée que la médecine est simple. Les médecins enquêtent, diagnostiquent et traitent. Les investigations définitives mènent à des diagnostics concrets. Chaque diagnostic a un plan de traitement concis basé sur des faits scientifiques reconnus. Et la science est toujours claire, établie et ne doute jamais. Là où il n’y a pas de science, les médecins font ce que les patients veulent, c’est simple. Si la médecine fonctionnait de la sorte, il faudrait très peu d’intelligence et encore moins de formation éthique. La médecine est complexe. Les médecins doivent souvent établir des diagnostics provisoires basés sur des investigations partielles conduisant à de multiples options de traitement aux bénéfices incertains. De plus, chaque patient apporte au problème ses propres problèmes génétiques, sociaux et acquis. L’éthique médicale ne serait pas un domaine d’étude vaste et complexe si la médecine n’était qu’une technique. L’éthique médicale est une discipline unique avec ses propres ressources, littératures et conférences. Contrairement aux médias sociaux, l’éthique médicale ne propose jamais de solutions faciles. Sur Twitter, j’ai demandé si les médecins devraient être obligés de référer pour des avortements sélectifs en fonction du sexe. Une personne a répondu : « Tais-toi, réfère ou décal*** ! »La liberté de conscienceLa plupart des gens ne considèrent pas la liberté de conscience, son lien avec la médecine ni son application à la situation actuelle. C’est plus facile de tout rejeter sur la religion.La liberté de conscience n’est pas la même chose que la liberté de religion.Nous aborderons cela dans de prochains articles. Pour l’instant je vous laisse avec une citation du juge Lamar de la Cour suprême du Canada, dans le jugement Rodrigez c. Colombie-Britannique, 1993 : « Il faut aussi remarquer que l’insistance sur la conscience et le jugement individuels est également au cœur de notre tradition politique démocratique. La possibilité qu’a chaque citoyen de prendre des décisions libres et éclairées constitue la condition sine qua non de la légitimité, de l’acceptabilité et de l’efficacité de notre système d’auto‑détermination.»Obligés de référerLa médecine ne fonctionne pas en obligeant les médecins. Elle fonctionne en se basant sur des preuves, la logique et l’argumentation. Face à des opinions divergentes sans position définitive, la médecine trouve le moyen d’accepter la diversité. Le serment d’Hippocrate est la seule chose que la médecine considère sans preuve comme irrévocable. « Le serment d’Hippocrate, même dans sa forme originale, ne représente pas un triomphe de la science, mais un triomphe de l’absolutisme moral. » — J. GoldbergPour les prochains articles : Quelle est la portée de la liberté de conscience dans les soins cliniques? Qu’est-ce que la conscience et la liberté de conscience ? En quoi est-ce différent de la liberté de religion ? Juste parce que quelque chose est légal, cela justifie-t-il qu'on le fasse?Les médecins devraient-ils ressembler davantage à des avocats: utiliser les médicaments au maximum, peu importe ce qu’ils pensent de la demande d’un patient ? Les patients retirent-ils des bénéfices à avoir un médecin avec une conscience morale ou ou cela engendre-t-il plus de mal que de bien?Le Dr Shawn Whatley est l’ancien président de l’Ontario Medical Association. Il exerce maintenant la médecine familiale dans les régions rurales de l’Ontario. Visitez son blogue au shawnwhatley.com. M. Whatley est l’auteur de No More Lethal Waits — 10 étapes pour transformer les départements d’urgence du Canada, BPS Books, Toronto, 2016 (disponible sur Amazon).Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de ProfessionSanté.ca ou de sa société mère.

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