Aînés très vulnérables: Quand l’hébergement et les médicaments font exploser la facture

Comment procurer à la personne âgée très vulnérable tous les services sociaux et de santé dont elle a besoin? «Voilà le vrai défi à venir. Et c'est en fonction de la façon dont nous le relèverons que la pression démographique du vieillissement deviendra, ou non, la catastrophe appréhendée», note François Béland, Ph. D.1.Il participait récemment à une conférence du Groupe Espace Santé, à Montréal, sur les soins aux personnes âgées vulnérables.À qui fait-on référence lorsque l'on parle des personnes âgées très vulnérables au Québec?Il s'agit d'un infime pourcentage d’aînés qui mobilise le plus gros des ressources.Sur quelque 25 % des plus de 65 ans ayant des incapacités fonctionnelles, la moitié environ se débrouille seule avec un peu d’aide et de surveillance. L’autre moitié (entre 8 et 12 %) souffre d’incapacités lourdes et chroniques (déficit cognitif, entrave à la mobilité, multiples maladies chroniques, etc.) qui, dans 3 à 4 % des cas, requièrent un hébergement en CHSLD.Entre 3 et 5 % des personnes âgées vivent dans les ménages privés, dans un même état de santé que celles en CHSLD. Ces aînés ont besoin d’une aide constante, intense, attentive et de longue durée. Or, c’est souvent à ces gens âgés et très malades en ménage privé, qui peinent déjà à s’acquitter de leurs AVQ2 et de leurs AVD2, et qui ont souvent des problèmes cognitifs plus ou moins graves, que l’on demande de trouver l’énergie pour aller chercher les services dont elles ont besoin. Or, même pour un adulte bien portant, la navigation dans le réseau de la santé n’est pas facile.Faut-il créer une caisse vieillesse pour financer les coûts reliés aux soins des aînés très vulnérables?Non. Dans la plupart des propositions de caisse vieillesse, seuls les soins de longue durée associés aux incapacités sont inclus. Les services médicaux, hospitaliers et pharmaceutiques sont habituellement exclus.Quatre scénarios sont possibles pour financer les coûts des services de longue durée, parfois très élevés (on estime à 65 000 $ par personne et par an le coût d’un hébergement en CHSLD):- ajouter les services de longue durée aux régimes publics et universels d’assurance maladie (modèle beveridgien);- créer une caisse vieillesse spécifique (modèle bismarckien), comme le suggérait notamment la Commission Clair en 2001;- s’en remettre aux assurances privées;- laisser les gens payer de leurs poches.Le risque de la fragilité doit être assuré par la collectivité, selon moi, et c’est pourquoi j’opte pour la première solution. Mais elle a un coût. En effet, comment rendre universelle la couverture publique des soins de longue durée sans hausser les impôts? Il y a là une responsabilité collective qui doit passer par la redéfinition d’un nouveau contrat social.Pourquoi pas les assurances privées?Parce que l’histoire a montré qu’il est impossible, pour le marché privé de l’assurance, de couvrir les services de longue durée. Un régime privé d’assurance en santé ne peut en effet exister que s’il reçoit des subventions de l’État, directes ou indirectes, via la fiscalité. Aux États-Unis par exemple, environ 10 % des dépenses de santé passent en déductions fiscales.Voyez aussi comment, aux États-Unis, les entreprises se désengagent de plus en plus des avantages sociaux qu’elles offrent à leurs employés, notamment en matière d’assurances reliées aux soins de santé.Qu’en est-il des dépenses reliées au régime d’assurance public universel?La Loi canadienne sur la santé ne couvre que les services aux médecins et aux hôpitaux. Tout le reste est laissé à la bonne volonté des provinces. Et là, l’histoire des dernières décennies montre ceci: en 1975, les médecins et les hôpitaux représentaient le quart des dépenses de programmes du gouvernement du Québec, et jusqu’à maintenant, ce pourcentage a peu varié.En revanche, le coût de l’hébergement et des médicaments s’est considérablement accru. Ce sont ces deux secteurs qui ont connu la plus forte hausse des coûts pour des raisons différentes. Le Québec a adopté un régime universel d’assurance médicaments, il y a une dizaine d’années, augmentant par le fait même ses engagements financiers dans un secteur en pleine expansion.Et pour l’hébergement?Le Québec se désengage sous prétexte d’un accroissement des services à domicile. Or, ces derniers ne parviennent néanmoins pas à combler les besoins engendrés par la restriction de l’accès aux CHSLD, due à l’accroissement du nombre d’heures/soin par jour requis: il est passé de 1,5 heure à 3,5 heures ces quinze dernières années.La solution alors?Les 95 CSSS3 doivent s’assurer du fonctionnement en réseau de l’ensemble des services, y compris tous les services de proximité: médecine de première ligne, services pharmaceutiques, aide à domicile. Il serait possible de leur confier l’ensemble des responsabilités financières et cliniques pour la prestation des services sociosanitaires de la population âgée fragile.Cela revient à poursuivre dans la voie qu’avait tracée le projet SIPA4, un projet de démonstration mené au Québec au tournant des années 2000 auprès de 1200 personnes âgées et qui semblait prometteur. Avec SIPA, on avait prouvé qu’il était possible d’accroître l’accès financier aux services de longue durée sans que les coûts totaux augmentent. SIPA avait réussi à transférer les responsabilités de l’institutionnel (hôpitaux et centres d’hébergement) vers les organismes de proximité (CLSC, à l’époque). Pas plus cher, et plus efficace!SIPA a aussi prouvé qu’il y a moyen de réaménager les types de services dispensés par les professionnels de la santé pour qu’ils comblent mieux les besoins des aînés vulnérables. Et c’est avant tout une réorganisation des pratiques cliniques vers des équipes multidisciplinaires, sous la gouverne de gestionnaires de cas.Mais les services de proximité ne sont-ils pas plus exposés aux compressions budgétaires que les services institutionnels?Bien sûr, il est plus facile de couper les services d’un bain à domicile que d’enlever les briques d’un hôpital. Toutefois, lorsqu’on réalise une réelle intégration de toute la gamme de soins et services nécessaires aux personnes âgées fragiles, le principe dominant de l’organisation des soins est la réponse aux besoins des personnes. Une réelle intégration implique que les modalités de financement de l’organisation des soins s’alignent sur la pratique clinique répondant le mieux aux besoins. Or, aujourd’hui, les systèmes de santé marchent sur leur tête, puisque la pratique clinique s’aligne sur les modalités de financement et d’organisation.S’il suffisait d’apporter des changements administratifs pour améliorer les choses, ça se saurait, non?Telle n’était pas la philosophie de SIPA, car fusionner des établissements n’entraîne pas automatiquement une intégration des services. À preuve, le ping-pong qui se joue bien souvent autour de la personne âgée, bousculée entre l’urgence d’un hôpital de soins aigus et le CHSLD.La voie d’avenir consiste à amener les prestataires de soins à modifier leur pratique clinique, ce qui est plus compliqué avec la clientèle âgée.Croyez-vous à la catastrophe appréhendée du «tsunami gris»?Il n’y aura catastrophe que si l’on ne parvient pas à adapter la façon de livrer les soins et services de longue durée à cette clientèle.1 Co-directeur, Solidage, Groupe de recherche conjoint Université de Montréal - Université McGill sur la fragilité et le vieillissement. Professeur titulaire, département d’administration de la santé, Faculté de médecine de l’Université de Montréal.2AVQ: activités de la vie quotidienne; AVD: activités de la vie domestique.3Nés de la fusion des hôpitaux généraux, des centres d’hébergement et des CLSC, les CSSS sont responsables de la santé et de l’accès aux services sociaux et de santé de la population de leur territoire.4Système de services intégrés pour personnes âgées en perte d'autonomie (SIPA). Projet-pilote mené conjointement par les universités McGill et de Montréal.BV: François Béland

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