Accepter les changements: la résilience personnelle est insuffisante

La COVID-19 a forcé les professionnels de la santé à s’adapter aux nombreux changements qui se sont présentés à eux. Ces changements devront rester dans la pratique selon Zubin Austin, professeur et titulaire de la chaire de recherche Koffler à la Faculté de pharmacie Leslie Dan et à l’Institut des politiques, de la gestion et de l’évaluation de la santé de la Faculté de médecine Temerty de l’Université de Toronto. «Notre pratique avant-Covid ne fonctionnera pas dans le futur. Les soins virtuels sont là pour rester, les attentes des patients ont changé et il faudra malheureusement continuer de faire plus avec moins», a partagé le professeur lors d’un symposium organisé par l’Association des pharmaciens des établissements de santé du Québec (APES) et la Société canadienne des pharmaciens d’hôpitaux, ayant eu lieu à Gatineau à la fin octobre. Or, selon Zubin Austin, la résilience du milieu du travail est essentielle pour parvenir à vivre avec ces changements, et celle-ci surpasse même la résilience personnelle. «Il vaut mieux ne pas être résilient dans un environnement de travail résilient, qu’être résilient dans un environnement qui ne l’est pas», dit-il. Lors du symposium, le chercheur a partagé les résultats d’une étude qualitative exploratoire publiée en 2018 et à laquelle il avait participé. Selon lui, ce modèle peut s’adapter encore aujourd’hui. Au total, 46 pharmaciens communautaires de l’Ontario y avaient participé en discutant de diverses initiatives de gestion du changement. L’objectif était de créer un modèle de changement adapté au contexte de la pratique, prenant en compte la psychologie et le tempérament des pharmaciens. Les voici: Voici ce que Zubin Austin appelle les «9 P» du changement (en anglais): Avoir la permission. La nécessité d’un contexte réglementaire pour soutenir les nouveaux rôles et responsabilités a été soulignée comme «une première étape» dans le processus, sans laquelle le changement de pratique n’est pas possible. Selon Zubin Austin, les pharmaciens, tant en établissement qu’en communautaire, aiment suivre des règles. «Sans règles claires, les pharmaciens ne prendront pas de risque pour faire des innovations», explique celui qui a fait plusieurs travaux sur l’identité professionnelle des pharmaciens. «Process pointers». «Certains pourraient dire que les pharmaciens ont besoin d’être "nourris à la cuillère", mais en réalité les pharmaciens ont besoin d’indications claires», a indiqué Zubin Austin. En effet, selon lui, les pharmaciens veulent habituellement savoir ce qui est attendu d’eux. Il donne deux exemples clairs d’élargissement du champ de pratique des pharmaciens, avec deux issues différentes. Lors du déploiement de la vaccination, par exemple, les consignes étaient claires, se basaient sur des algorithmes et des organigrammes, et cette mobilisation a été citée comme étant une réussite. D’un autre côté, lorsque les ajustements d’ordonnances par les pharmaciens ont été autorisés, ces derniers ont reçu des consignes plus vagues tels que «utilisez votre jugement professionnel» et la mobilisation a été jugée plus lente, indique le chercheur. Pratique. Les nouvelles responsabilités s'accompagnent de stress, et du temps de pratique est nécessaire avant de se sentir plus à l’aise. Le chercheur affirme l’importance de faire des simulations sans patients pour diminuer ce stress. Renforcement positif. Selon Zubin Austin, les pharmaciens sont habituellement très critiques envers eux-mêmes et sont davantage habitués à la rétroaction négative qu'à la rétroaction positive. Or, il indique que cette dernière doit être faite par une personne de confiance, telle qu’un gestionnaire, un médecin ou un formateur. Attention personnalisée. Bien que l’enseignement en groupe peut être plus avantageux économiquement, il peut aussi être un peu impersonnel, remarque Zubin Austin. Sans une attention personnelle aux besoins, aux préoccupations ou aux problèmes individuels, les pharmaciens peuvent ne pas vouloir amener leur pratique à un autre niveau, croit-il. Il ajoute qu’un seul coaching personnel, même s’il est bref, peut être extrêmement bénéfique pour motiver un changement dans la pratique. Renforcement par les pairs. «La pharmacie peut être considérée comme un métier un peu solitaire et nous voyons rarement ce que nos collègues font comme travail», indique le chercheur. Or, savoir ce que d’autres font dans leur pratique quotidienne peut être à la fois réconfortant, informatif et inspirant. Acceptation des médecins. Le désir d’éviter les conflits avec les médecins peut être un obstacle majeur au changement de pratique. «Les pharmaciens veulent éviter les conflits avec les médecins à tout prix. Parfois, ils peuvent hésiter à changer une prescription, de peur d’irriter un médecin», précise Zubin Austin. Ce dernier indique que ce n’est pas en étant aimé qu’on est automatiquement respecté en tant que professionnel de la santé à part entière. Attentes des patients. Plus les patients sont au courant des services offerts et posent des questions, moins le pharmacien évitera de prendre de nouvelles responsabilités et plus il voudra répondre aux besoins des patients, partage le chercheur. «Cela devient un peu comme une pression constructive et positive de la part des patients, ajoute-t-il. Si les patients n’ont pas d’attentes, le changement de pratique peut être retardé et même, dans certains cas, évité.» Identité professionnelle. Pour changer les choses, il faut laisser de côté la photo initiale de la profession et regarder vers l’avenir. «Beaucoup voulaient devenir pharmaciens pour éviter de toucher des gens et maintenant ils sont appelés à vacciner», donne Zubin Austin comme exemple. Il ajoute que la profession change et l’identité professionnelle prend plus de temps à changer.

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