Abréviations interdites dans les ordonnances: certaines interventions ont permis de réduire leur utilisation dans trois CHU

Dans la rédaction de leurs ordonnances, certains prescripteurs utilisent des abréviations qui sont jugées dangereuses. Certains modèles d’intervention clinique ont cependant permis de réduire la fréquence d’utilisation de ces abréviations pour la clientèle hospitalisée dans trois centres hospitaliers universitaires (CHU) du Québec, montre une étude réalisée par le Programme de gestion thérapeutique des médicaments (PGTM).Le PGTM, un programme créé en 2004 par les cinq CHU du Québec* afin de favoriser une utilisation optimale des médicaments, a présenté les résultats de son étude dans un article publié l’automne dernier dans le Pharmactuel (vol. 49, n° 3)¹.Une exigence d’Agrément CanadaL’Institut pour la sécurité des médicaments aux patients du Canada (ISMP Canada) a publié en juillet 2006 une liste des abréviations dangereuses (https://www.ismp-canada.org/fr/dossiers/bulletins/BISMPC2006-04.pdf). « Les abréviations, symboles et inscriptions numériques retrouvés dans cette liste ont été déclarés comme étant fréquemment mal interprétés et impliqués dans des accidents graves liés à la médication. Ils ne devraient JAMAIS être utilisés lors de la communication d’informations liées à la médication », recommande l’ISMP Canada.Agrément Canada exige d’ailleurs des établissements de santé (hôpitaux, CHSLD, cliniques, etc.) qu’ils mettent en place la pratique organisationnelle requise (POR) suivante (citation tirée de son Livret 2016, 2e version) : « L’organisme a établi et mis en œuvre une liste d’abréviations, de symboles et de désignations de dose qui ne doivent pas être utilisés dans l’organisme ». Cette liste doit comprendre les éléments qui figurent à la liste des abréviations dangereuses de l’ISMP Canada.Pour se conformer à cette exigence d’Agrément Canada, les cinq CHU adoptent la liste intégrale de l’ISMP Canada ou « l’adaptent à des critères locaux en y ajoutant des abréviations supplémentaires tirées de la liste de l’ISMP aux États-Unis », précise le PGTM dans son article.Quatre abréviations ciblées en prioritéEn 2012, le PGTM a publié un état de situation sur l’utilisation d’abréviations, de symboles et d’inscriptions numériques dans les ordonnances des cinq CHU du Québec (http://pgtm.org/documentation/FSW/Abreviations_AD_20121016.pdf). En raison de leur usage inapproprié, il leur a émis des recommandations « pour qu’ils puissent remédier à cette situation ».Le PGTM a donc élaboré des modèles d’intervention clinique pour éliminer en priorité des ordonnances les quatre abréviations interdites énumérées ci-dessous et les abréviations de noms de médicaments :cc centimètre cubeU/UI unité/unité internationaleqd pour chaque jourµg pour microgrammeIl leur a proposé cinq catégories d’interventions :rencontres éducatives (pour les prescripteurs et le personnel infirmier)participation de leaders d’opinion du CHUmatériel éducatif (copie plastifiée des abréviations à proscrire, bulletins d’informations par divers moyens de communication)audit(s) rétrospectif(s) et rétroaction par courriels auprès des prescripteurs et à leur chef de département cliniquereprescription obligatoire des ordonnances fautives« Les CHU devaient déterminer, parmi les interventions proposées, celles qui pouvaient s’appliquer à leur situation et l’intensité à y consacrer en tenant compte, entre autres, des ressources humaines disponibles pour parvenir à mettre ces interventions en place. »Le PGTM a analysé 8 435 ordonnances manuscrites pour la clientèle hospitalisée (certaines étaient une transcription d’ordonnances verbales rédigée uniquement par le personnel infirmier) provenant des trois CHU qui avaient, au moment de la tenue de cette étude, effectué un suivi de l’état des ordonnances après des interventions.Les CHU dans l’étude sont désignés par les lettres A, B et C. « Cette nomenclature fait partie des procédures du PGTM et est nécessaire afin d’assurer le respect de la confidentialité et l’anonymat des données, a expliqué à Profession Santé la pharmacienne Chantal Guévremont, l’un des quatre auteurs de l’étude. Cette façon de faire facilite l’implantation de recommandations sans pointer du doigt un centre hospitalier en particulier, dans un but éducatif. Un contexte local pourrait également expliquer des résultats divergents qui n’auraient pas lieu d’être interprétés autrement par le public. »Plus de détails sur la méthodologie peuvent être obtenus en consultant l’article du Pharmactuel.« Diminution nette » des abréviations ciblées et des noms de médicaments abrégésL’étude du PGTM avait pour objectif d’ « évaluer les retombées [de ses recommandations] » et de « comparer l’effet des différents modèles d’intervention clinique ».Ainsi, les analyses du PGTM démontrent une « diminution nette » de la fréquence d’utilisation des quatre abréviations ciblées, soit de 29 % pour le CHU A, de 3 % pour le CHU B et de 9 % pour le CHU C.L’écart est « considérable » entre les trois CHU, notent les auteurs de l’article. « Certaines variables peuvent expliquer cet écart, notamment la date de début des modèles d’intervention clinique dans les CHU, la durée des interventions, l’intensité et la fréquence des audits avec ou sans rétroaction et les combinaisons d’interventions. Il convient donc d’analyser les résultats du PGTM de façon séparée. »L’abréviation « cc » est celle qui demeure la plus fréquente (45 % à 73 % des abréviations utilisées selon le dernier audit des ordonnances effectué dans chaque CHU après une période d’interventions éducatives). L’utilisation de noms de médicaments abrégés dans les ordonnances a également connu une « diminution nette », soit de 1 % pour le CHU A et de 4 % pour les CHU B et CHU C.Les auteurs soulignent que « le succès de [la] campagne d’éducation [du CHU A], d’une durée de trois mois, comme seule intervention ne semble pas avoir été égalé ailleurs », soit une baisse de non-conformité de 40 % à 11 % pour les quatre abréviations ciblées. « La documentation scientifique rapporte que la performance de base est inversement associée à l’efficacité (c.-à-d. moins un centre est efficace à la base, plus une intervention comme l’audit et la rétroaction auront une répercussion importante). De plus, l’intensité de la campagne du CHU A, qui a mobilisé plusieurs intervenants clés avec une distribution de matériel éducatif diversifié sur une période limitée, pourrait expliquer ce résultat. »Autre intervention bénéfique, mais plus « coercitive », le CHU C a mené une intervention obligeant les prescripteurs à rédiger une nouvelle ordonnance. Dans les 24 heures suivant la rédaction d’une ordonnance fautive, un pharmacien rencontrait le prescripteur pour exiger une nouvelle ordonnance. « Le refus de servir était partiel, puisqu’il permettait la libération d’une dose pour des situations critiques, telles que l’usage d’antibiotiques ou d’anticoagulants, afin de ne pas nuire au patient et d’éviter de déléguer le rôle de police au personnel infirmier. »Deux mois après le début de l’intervention, le niveau de non-conformité est passé de 14 % à 5 % pour les quatre abréviations ciblées. Toutefois, les auteurs font remarquer qu’« en définitive, une telle politique n’a pas permis d’enrayer complètement le problème, et les taux de non-conformité du CHU C ne se démarquent pas de ceux du CHU B ».Miser sur des interventions répétées, variées et combinéesDans leur conclusion, les auteurs précisent que « les données recueillies dans la présente étude ne permettent pas de déterminer clairement quelle intervention s’est révélée la plus efficace pour l’ensemble des CHU ». Ils sont toutefois d’avis que « la répétition, la variété et la combinaison d’interventions semblent améliorer certains comportements des prescripteurs ».* Les cinq CHU qui participent au PGTM sont le Centre hospitalier de l’Université de Montréal, le Centre universitaire de santé McGill, le CHU Sainte-Justine, le CHU de Québec-Université Laval et le Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke.1. Guévremont C, Varin F, Lee TC, Bonnici A. Modèles d’intervention clinique du Programme de gestion thérapeutique des médicaments : utilisation d’abréviations et de symboles dangereux dans les ordonnances pharmaceutiques. Pharmactuel 2016; 49(3):196-201. [En ligne au http://www.pharmactuel.com/index.php/pharmactuel/article/view/1117]

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