2e Rendez-vous national sur l’avenir du réseau: «Il faut survivre!»

«Si notre système de santé est en train de se faire détruire, arrangeons-nous, nous, pour ne pas nous auto-détruire. Il faut survivre!», déclare à Profession Santé le Dr Bernard Gélinas. Ce médecin participait au Deuxième rendez-vous national sur l’avenir du système public de santé et de services sociaux.Son propos résume le climat de survie qui colorait la rencontre, organisée par l’AQESSS, la CSN et l’Institut du Nouveau-monde, le 9 décembre à Québec. Y assistaient environ 400 professionnels de la santé, gestionnaires, employés du réseau, représentants d’ordres professionnels, de syndicats, dont la FMOQ.Tous s’interrogent, à des degrés divers bien sûr, sur leur propre avenir. Il a fallu que Pierre Blain, du Regroupement provincial des comités des usagers, rappelle à tous que le réseau n’a de raison d’être qu’en fonction des patients pour lesquels il existe. «Le patient, voilà la voix oubliée du système, mais on ne demande à personne de parler en notre nom!»«Ce qui compte, c’est d’abord le bien de la population, pas juste celui du réseau», a ajouté Mercedez Roberge, de la Table des regroupements provinciaux d’organismes communautaires et bénévoles. «Le réseau appartient à la population, pas au ministre ni aux gestionnaires», a tenu à préciser Diane Lavallée, directrice générale de l’AQESSS. Mais dans ce réseau, dit-elle, «on se sent blessés, malmenés, inquiets». Reconnaissant la nécessité d’apporter les changements, elle croit possible d’y parvenir «sans détruire ce qu’on a mis 40 ans à bâtir. On refuse de construire sur des ruines».Diviser pour régnerLa Dre Isabelle Leblanc, présidente de Médecins québécois pour le régime public, a tenté de contrer ce climat de désarroi. «On ne peut plus diviser pour régner, monter les professionnels les uns contre les autres, les médecins contre les administrateurs, etc. Qui a à gagner à morceler ainsi les acteurs du système? C’est le gouvernement, pour empêcher les gens de se mobiliser en un front commun», a-t-elle précisé à Profession Santé.Tous admettent que des changements s’imposent, mais lesquels? Le Dr Daniel Tardif, de l’Association médicale du Québec, estime urgent de s’attaquer au surdiagnostic et au surtraitement. «Le maillage interprofessionnel médecin/pharmacien s’est développé, avec une compréhension commune des enjeux», indique François Paradis, président de l’Association des pharmaciens des établissements de santé du Québec. Évoquant les récentes pénuries de médicaments, il suggère que l’État recoure à la double adjudication, afin de s’affranchir de la dépendance à un seul fournisseur.De leur côté, «les médecins sont las de se faire dire qu’ils coûtent cher, car ils se dévouent énormément. Ils se sentent impuissants, craignent des intrusions qui auront des conséquences sur leur pratique, des intrusions menées sans comprendre les contextes où exercent les cliniciens», indique le Dr Denis A. Roy, de l’INSPQ. La solution? «Pour nous, médecins, commencer par s’investir davantage dans l’auto-régulation», répond-il.Première ligneLa question de la première ligne de soins a beaucoup retenu l’attention. Les meilleurs systèmes sont ceux qui renforcent cette porte d’entrée destinée à répondre à la diversité des besoins médicaux et sociaux de base. Certes, le MSSS a déjà agi dans ce secteur (GMF, cliniques réseau, champ des professionnels élargi), mais bien des problèmes demeurent. Entre autres, l’accès difficile en temps opportun, le suivi déficient (psychologues, nutritionnistes, ergothérapeutes), les entraves au travail interdisciplinaire et une coordination des services difficile.Parmi les leviers de changement figurent la pratique de groupe et l’inscription à un médecin de famille; l’interdisciplinarité aussi, mais avec des tâches et responsabilités claires et une formation adaptée. «Il faut une diversité de professionnels capables de travailler ensemble et surtout, disponibles. Si on ne peut pas consulter le médecin, qu’on voit un autre professionnel», a indiqué Véronique Gagné, du Bureau du commissaire à la santé et au bien-être.Le suivi des maladies chroniques par exemple, ne peut être le fait d’un seul acteur. Véronique Gagné prône un partage du pouvoir entre médecins et autres professionnels de la santé, car à ses yeux, la concentration des pouvoirs entre les mains des seuls médecins constitue une barrière à l’accessibilité des soins.Page 1/2Travailler ensembleLa solution réside en deux mots, résume-t-elle à Profession Santé: travailler ensemble. «Pour cela, il s’agit de répartir clairement les tâches et responsabilités entre les divers professionnels certes, mais aussi entre omnipraticiens et spécialistes. Que les médecins commencent à se répartir clairement les tâches entre eux.»Comme en écho à ces propos, le Dr Gélinas fait observer que « les médecins spécialistes ont si bien négocié leurs conditions d’exercice qu’ils sont devenus consultants, dans l’ensemble, sans avoir besoin d’être médecins traitants». Pareille situation, selon lui, ne saurait durer, «d’autant plus que le médecin spécialiste s’intéresse en général moins aux patients qui présentent plusieurs pathologies, ce qui est le cas de la clientèle vieillissante».Déterminants sociauxSeule la première ligne est à même d’intégrer les déterminants de la santé à la pratique clinique, résume Véronique Gagné. «Quant aux déterminants sociaux, ça se travaille entre plusieurs professions.»Il reste que l’essentiel des déterminants de la santé dépassent, et de très loin, le seul réseau de la santé: accès au revenu, au logement, au transport, à l’éducation - «le décrochage scolaire est très mauvais pour la santé». Bien de la santé se fabrique d’abord dans la famille, unité première de socialisation. «Miser sur les enfants, c’est donc aussi miser sur les parents», rappelle Claude Leblond, président de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec, en lien avec le débat sur les tarifs en CPE.Les participants ont déploré que l’État effectue des coupes sombres dans la promotion ou la prévention primaire. «De moins en moins social, de plus en plus médical, ce réseau», ont déploré certains.Les CLSC, malgré les docteurs?Enfin, évoquant le projet de loi 20, le Dr Gélinas croit qu’il se prépare, chez les médecins, «le même abandon de clientèles qu’en 1997, quand on a libéré 1200 docteurs de plus de 50 ans». On se dirige vers un cul de sac, soutient-il, car ceux des docteurs plus âgés qui voudront ralentir ne le pourront pas à cause des pénalités à venir. «C’est facile d’amputer de 30 % la rémunération d'un médecin. C’est plus difficile pour ce dernier de réduire de 30% ses frais fixes de bureau.»Évoquant la relève, le Dr Gélinas croit que, par un curieux retour des choses, on pourrait redécouvrir, dans une certaine mesure, la fonction médicale du CLSC que les médecins, dit-il, ont jadis contribué à torpiller. «Je crois que les jeunes femmes médecins vont avoir deux choix, pour sauver leur peau: aller à salaire en CLSC, avec tous les avantages sociaux. Ou se tourner vers la pratique purement privée, où l’on peut avoir un meilleur contrôle sur son destin.»Déterminants sociauxLa charade du Dr MaguireLes déterminants sociaux en lien avec la première ligne ont fait l’objet de discussions lors du Deuxième Rendez-vous national sur l’avenir du système public de santé et de services sociaux. À ce propos, le Robert Maguire, médecin-conseil à l’ASSS Bas-Saint-Laurent, qui y participait, a raconté à Profession Santé la charade suivante:Mon premier: «Je tue prématurément 10 500 Québécois par an; raccourcis de 10 ans l’espérance de vie; 70% de ceux qui m’adoptent voudraient me délaisser»;Mon deuxième: «J’occupe plus de 30% des lits actifs de courte durée»;Mon troisième : «Je draine 32% du temps clinique des infirmières dans le réseau.»Qui suis-je?Réponse : le tabagisme.«Voilà un déterminant majeur sur lequel on peut agir non pas demain matin, mais dès aujourd’hui.» Quand on augmente le prix de paquet de cigarettes de 10 cents, poursuit le Dr Maguire, on abaisse de 1% le nombre de ceux qui adoptent le tabac. «Personne ne va s’opposer à cette mesure, sauf les propriétaires de dépanneurs. Or, le Québec est la province qui vend son paquet de cigarettes le moins cher!»Le médecin précise qu’en matière de tabagisme, il faut agir à la fois sur les débutants et les dépendants. Les débutants? «Chaque jour, 90 jeunes Québécois commencent à fumer!» Pour contrer ce phénomène, dit-il, arrêtons l’aromatisation du tabac (menthol) et mettons des paquets de cigarettes neutres, comme cela se fait en Australie.Page 2/2

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