«12 psychiatres pour 10 millions d'habitants» – Colloque sur la santé mentale en Haïti

Juste avant l’été a eu lieu, à l’Université de Montréal, le troisième colloque sur la santé mentale en Haïti. C’est une troisième initiative organisée par «Rebâti Santé Mentale», un organisme à but non-lucratif.Les premiers colloques se sont déroulés à Miami et à Port-au-Prince. Cette année, le colloque a été organisé à Montréal avec la collaboration du département de psychiatrie de l’Université de Montréal.Tenue au pavillon Jean-Brillant, la conférence sur la Santé mentale en Haïti a permis d’exposer des communications de qualité qui ont dressé un portrait de ce qui est et de ce qu’il reste encore à faire au plan de la santé mentale en Haïti.Il a montré l’extraordinaire convergence d’intérêts partagés, d’efforts de concertation tant des autorités haïtiennes que d’organismes de terrain, de partenaires internationaux et locaux ainsi que d’institutions universitaires.La diaspora haïtienne montréalaise, celles de Miami et de New York se sont jointes à cette conférence où l’on a pu aborder différents aspects des enjeux de la santé mentale en Haïti.Ces enjeux ont été réactivés à la suite du séisme en 2010 et cet après-séisme a été finalement comme une nouvelle occasion de dégager la nécessité de construire quelque chose de viable, de concret et de nouveau pour la santé mentale en Haïti.12 psychiatres, 10 millions d’habitantsAvec une population de 10 millions d’habitants, Haïti ne compte que deux hôpitaux psychiatriques, l’Institut Mars & Kline, au centre-ville de Port-au Prince, et en banlieue, l’hôpital Défilée de Beudet, situé à Croix-des-Bouquets.Il y a également à peine 12 psychiatres pour l’ensemble de la population haïtienne. Tout un contraste avec le Québec : 12 psychiatres pour 10 millions d’habitants, à comparer au chiffre théorique canadien de 14 psychiatres pour 100 000 habitants.Les deux hôpitaux ne contiennent que 250 lits. Par contre, un réseau communautaire déjà fonctionnel et l’implication des différents niveaux de la société sont très présents autour de la santé mentale et c’est un contexte qui donne un potentiel à créer quelque chose d’adapté, d’efficient et de réaliste.Durant le colloque, il y a eu de nombreuses présentations sur l’état des lieux, les besoins de la population, cliniques et sociaux, avec l’accès aux soins, la disponibilité des services, des thérapies et des médicaments.InteractionsL’assistance a eu la chance de bénéficier des présentations de différents acteurs d’Haïti, avec l’accueil ici-même, à Montréal, des membres de la diaspora. Parmi eux, Emmanuel Dubourg, député fédéral à Ottawa, et Frantz Benjamin, de la Ville de Montréal, arrondissement Saint-Michel.Le mot de bienvenue pour toute cette communauté a été prononcé par la doyenne, la Dre Hélène Boisjoly, qui a fait le bilan des interactions, multiples et significatives, des collaborations entre l’Université de Montréal, la Faculté de médecine et Haïti.Par la suite, plus 40 communications ont démontré la richesse des initiatives déjà en place, avec la collaboration de l’Association des psychiatres américains, de la Faculté de Miami, en Floride, des centres de New-York, de Suisse, de l’OMS, de Partners, de Grand Défi Canada (Grosame), de l’Université de Montréal et de la Diaspora et de la communauté en Haïti.Le Département de psychiatrie s’est engagé dans une mission précise en Haïti, celle de l’enseignement. Le but est d’aider à constituer une relève, à donner le goût, par exemple, aux étudiants en médecine de faire de la psychiatrie et surtout, lorsqu’il faut discuter des modèles de santé mentale, à ne pas nuire à ce qui est fait ou est en potentiel en Haïti et à ne pas plaquer un modèle qui viendrait de l’extérieur, sans tenir compte des particularités de la communauté déjà responsable.Cet enseignement est engagé dans la réciprocité et depuis quatre ans il implique des professeurs du Département de psychiatrie et des résidents qui m’accompagnent, en tant que directeur du département, pendant une semaine pour la délivrance des cours. L’objectif plus lointain est d’assurer une durabilité à cette collaboration d’enseignement auprès des intervenants en santé mentale, des étudiants en médecine, des résidents en psychiatrie et auprès de l’Association des psychologues d’Haïti.Environnement culturelDurant ce colloque, les participants ont fait des exposés qui tiennent compte de l’environnement culturel, des croyances, de la place de la religion, et c’est ainsi qu’ont été également présentés les éléments essentiels et plus en profondeur du vaudou.En entrevue à l’émission Médium large (Radio Canada, 29 Mai 2014), j’ai eu l’occasion de dire: «C’est un environnement culturel de croyances dont il faut tenir compte. Nous ne sommes pas là pour juger, y adhérer, ni expliquer d’emblée, mais juste pour essayer de comprendre le contexte et tenir compte de l’ensemble de cet environnement.»Il y a une possibilité de créer, en Haïti, un beau modèle de soins en santé mentale, avec un réseau communautaire, la formation et l’appui en psychiatrie pour les omnipraticiens qui sont actuellement étudiants en Haïti, dans quatre universités, et à Cuba, des équipes multidisciplinaires ouvertes aux patients partenaires, aux familles, aux tradi-praticiens.Les psychiatres auront un rôle à jouer, certes, mais bien différent qu’au Québec par exemple: un rôle utile aux équipes, un rôle de consultants, de support aux omnipraticiens, responsables de soins plus complexes, d’expertise légale, et de psychothérapeutes.Il ne faut pas s’attendre à former suffisamment de psychiatres comme on en forme ici avec quatre ans de résidence, car il faudrait plusieurs centaines d’années pour atteindre les chiffres d’ici. On peut profiter du modèle de l’enseignement autour des compétences pour bien adapter la formation de ces spécialistes en santé mentale aux besoins de la population haïtienne.Échanges avec MontréalL’aspect de l’enseignement en français est un lien essentiel entre Haïti et la faculté de médecine de l’Université de Montréal. Déjà quatre résidents (Julie Poulin, Marie-Eve Blain Juste, Jean Gabriel Daneault et Marie Nolin) y ont enseigné, et un groupe de patrons (Les Drs Hans Lamarre, Thomas Bergeron, Rosita Punti, Sophie Desautels, Marie Carmen Plante et moi-même) a livré des cours et supervisé cliniquement des travaux en collaboration réciproque avec le milieu déjà en place et dans les facultés et dans les sites de soins.L’avenir dépendra probablement des subventions, mais la motivation des professeurs est durable. Donner un enseignement dont l’objectif principal consiste à donner le goût à la psychiatrie pour qu’une relève soit possible, c’est déjà un premier pas.Au retour des deux stages des résidents, deux documentaires vidéo ont été produits sous la direction de Marie-Eve Blain-Juste. Ils sont disponibles sur le site web du Département de psychiatrie.Renseignements: psychiatrie.umontreal.ca*Directeur du département de psychiatrie, Université de Montréal.

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