Opioïdes: adapter la prescription pour réduire le risque de surdose

Dans la crise des surdoses que connaît toujours le Canada, et dans une moindre mesure le Québec, les prescriptions d’opioïdes sont particulièrement observées. Alors que le nombre de personnes ayant reçu une prescription d’opioïdes est en baisse d’après l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS), le Collège des médecins du Québec a pourtant lancé, au mois de janvier dernier, un nouveau programme pour mieux surveiller les prescriptions des médecins.Et plusieurs études ont déjà montré que près de la moitié des patients souffrant de troubles liés à l’utilisation d’opioïdes y avaient été exposés pour la première fois par une ordonnance licite, et 20% avaient reçu une ordonnance au service des urgences. À elle seule, la crise des opioïdes a occasionné plus de 174 000 visites aux urgences depuis 2016, selon les chiffres de Santé Canada.Des chercheurs de l’hôpital du Sacré-Cœur de Montréal ont donc cherché à déterminer la quantité optimale d’opioïdes à prescrire aux patients souffrant de douleurs aiguës à leur sortie des urgences, pour à la fois répondre à leurs besoins analgésiques et aussi limiter la quantité de médicaments non utilisés pouvant mener à un usage abusif. 63% des comprimés prescrits n’ont pas été utilisésCette étude de cohorte prospective multicentrique a été menée dans six services d'urgence d'hôpitaux universitaires de soins tertiaires de niveau 1 et un hôpital communautaire au Québec et en Ontario, auprès de 2240 adultes souffrant d’une douleur aiguë depuis moins de deux semaines, et ayant reçu une prescription d’opioïdes à leur sortie des urgences. La catégorie de diagnostic final (colique néphrétique, douleur abdominale, fracture, douleur au dos, douleur au cou, autre musculosquelettique ou autre), l'intensité de la douleur à la sortie et les analgésiques prescrits ont été indiqués par le médecin traitant. De leur côté, les participants ont rempli un journal de suivi de la douleur afin de rapporter en temps réel la quantité, les doses et les noms de tous les analgésiques consommés pendant une période de suivi de 14 jours.À lire aussi: Les surdoses en hausse chez les jeunes adultes au CanadaSur 14 jours, les participants ont ainsi consommé une médiane de 5 équivalents comprimés de morphine à 5 mg. «Nous avons considéré qu'un dosage de 3,33 mg d'oxycodone, 1,25 mg d'hydromorphone, 33,3 mg de codéine et 50 mg de tramadol était équivalent à 1 comprimé de morphine de 5 mg», précisent les auteurs. Les deux tiers (63%) des comprimés d’opioïdes prescrits à la sortie des urgences n’ont pas été utilisés. En moyenne, les patients sortis des urgences avec une douleur aiguë n'avaient consommé que 5 comprimés de morphine équivalente à 5 mg au cours des deux semaines suivantes.La quantité consommée, comme la quantité nécessaire d'équivalents de comprimés de morphine de 5 mg, pour répondre aux besoins en opioïdes de 80% des patients pendant deux semaines variait selon la pathologie: les patients souffrant de coliques néphrétiques ou de douleurs abdominales ont eu besoin de 8 équivalents comprimés de morphine à 5 mg;ceux qui souffraient de fractures (17,5 %) ont eu besoin de 24 comprimés et ont plus souvent demandé une autre ordonnance d’opioïdes;ceux qui souffraient de maux de dos (12,1%), de 21 comprimés et ont plus souvent demandé une autre ordonnance d’opioïdes;ceux souffrant de douleurs cervicales, de 17 comprimés;et les personnes concernées par d’autres douleurs musculo-squelettiques (contusion, foulure, déchirure musculaire ou tendinite), ont nécessité 16 équivalents comprimés de morphine à 5 mg.«Des prescriptions d’opioïdes plus petites et spécifiques à la cause pourraient assurer une prise en charge adéquate de la douleur tout en réduisant le risque d’utilisation abusive d’opioïdes», écrivent les chercheurs, qui formulent plusieurs recommandations à l’intention des prescripteurs: Adaptez la quantité d'opioïdes prescrits à la condition douloureuse spécifique en fonction de la quantité d'équivalents de comprimés de morphine de 5 mg requise pour répondre aux besoins de 80% des patients;Ajoutez à l'ordonnance une mention pour que le pharmacien fractionne la délivrance des opioïdes, le patient revenant à la pharmacie si davantage de comprimés sont nécessaires. Ajoutez une date d’expiration de l’ordonnance (3, 7 ou 14 jours), au-delà de laquelle le pharmacien ne fournira plus de médicaments.Sensibiliser les patients, ça fonctionne aussiEt si les patients pouvaient eux-mêmes agir sur les prescriptions d’opioïdes? Dans une nouvelle étude publiée dans JAMA Open Network, deux spécialistes de la sécurité en matière de médicaments, de l’Université de Montréal (UdeM) et de l’Université Monash de Melbourne, démontrent que les campagnes publiques d’information éducative à destination des consommateurs d’opioïdes de longue durée ont un impact sur la réduction des doses prescrites.Les deux chercheurs ont suivi 4206 adultes dans la province du Manitoba, identifiés via le Manitoba Drug Program Information Network, entre juillet 2018 et janvier 2019. Une partie a reçu une brochure éducative concernant les opioïdes, envoyée par le gouvernement du Manitoba, en plus des soins habituels, et l’autre suivait uniquement les soins habituels.Si l’envoi de la brochure n’a pas eu d’incidence significative dans la prévalence de l’arrêt des opioïdes après 6 mois par rapport aux soins habituels, elle a conduit davantage de participants à réduire leur dose. À lire aussi: Crise des surdoses: médecins, pharmaciens, comment agir?Sur une période de six mois, 66% des participants ayant reçu la brochure d’information ont obtenu de leur médecin qu’il réduise les doses prescrites, soit 3% de plus que dans l’autre groupe. Une différence particulièrement marquée chez les hommes, les adultes de plus de 65 ans et les habitants des zones urbaines. «Il est encourageant de voir qu'une intervention aussi simple en apparence, lancée au plus fort de la crise des opioïdes, a pu aider les gens à réduire leur consommation», observe Cara Tannenbaum, auteure principale de l'étude, professeure de médecine, spécialiste en gériatrie à l'UdeM et cofondatrice du Réseau canadien pour l'usage approprié des médicaments et la déprescription, qui a inspiré la brochure d’informations distribuée au Manitoba. «Une analyse plus poussée a montré une baisse de la mortalité, toutes causes confondues, chez les personnes ayant reçu la brochure – un résultat important qui mérite d'être approfondi», ajoute son confrère Justin Turner, chargé de cours au Centre for Medicine Use and Safety de l'Université Monash et ancien boursier postdoctoral au Centre de recherche de l'Institut universitaire de gériatrie de Montréal, affilié à l'UdeM.

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