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Huntingdon: opération séduction

Même si la ville est à moins d’une heure de la métropole, attirer des médecins comporte son lot de défis. Le point avec trois médecins de la région.
07/03/2024
Fabienne Djanji, lauréate PPS 2022
La Dre Fabienne Djandji, copropriétaire du Complexe de santé Huntingdon et responsable du DRMG du Haut-Saint-Laurent

Au centre-ville de Huntingdon, des édifices comme l’ancien moulin à eau Henderson et le bâtiment O’Connor, récemment emporté par les flammes, témoignent de la vitalité d’autrefois de la ville centre du Haut-Saint-Laurent, en Montérégie-Ouest. 

Vandalisme, conditions sociales difficiles, itinérance cachée et toxicomanie, trafic de toute sorte (nous sommes à seulement 13 kilomètres de la frontière américaine) ; la ville a connu des moments difficiles au cours des 20 dernières années.

La fermeture des cinq industries textiles a contribué au déclin de la municipalité de 2500 habitants, mais une reprise économique récente lui donne un nouveau souffle.

«On voit vraiment deux groupes ; ceux qui ont perdu leurs emplois et qui ont connu de la misère sociale, des problèmes de santé mentale et de l’alcool… Mais depuis la pandémie, il y a un nouveau boom», remarque la Dre Fabienne Djandji, copropriétaire du Complexe de santé Huntingdon et responsable du DRMG du Haut-Saint-Laurent. 

«Nous travaillons extrêmement fort pour sortir de notre indice de ville dévitalisée», souligne le maire Brunette. Nouvelles constructions, commerces et services attirent de nouveaux citoyens, et des efforts sont déployés pour attirer et retenir des médecins dans la ville.

Près, mais loin

La pratique en région rurale comprend son lot de défis et de particularités. «Un des enjeux, c’est qu’on est loin… et pas loin», observe le Dr Gaétan Fillion, directeur jusqu’à tout récemment des services professionnels et enseignement médical au CISSS de la Montérégie-Ouest. «On est en périphérie d’une région périphérique», résume de son côté le Dr André Monette, psychiatre répondant au CLSC de Huntingdon.

Des médecins qui vivent à Montréal ou en banlieue de la métropole exercent à Huntingdon, mais les quelque 75 kilomètres qui séparent les deux villes finissent par user. «On recrute des médecins l’été, mais après avoir passé un hiver à faire la route, on les perd», illustre la Dre Djandji. 

Alors que des milliers de travailleurs s’installent dans les Laurentides pour travailler à Montréal, faire la route inverse semble constituer une barrière psychologique pour plusieurs médecins. «C’est une perception, parce que la route se fait bien, et c’est agréable d’y travailler», note le Dr Monette.

Mais le territoire à couvrir — qui s’étend dans 13 municipalités régionales de comté (MRC) — est vaste, et une simple visite à domicile peut nécessiter plus d’une heure de route. «Ça alourdit la charge», concède la Dre Djandji.

Pour la population, l’accès aux spécialistes sur place est particulièrement restreint. «Les ressources n’ont pas suivi les besoins, et notre population est moins bien desservie que d’autres», avance le Dr Fillion. «On aurait toujours eu besoin d’une équipe de deuxième ligne sur place», estime le Dr André Monette, qui retarde sa retraite, faute de relève.  Celui-ci, qui agit comme psychiatre répondant une demi-journée par semaine pour les cas complexes, croit que la région bénéficierait d’un psychiatre à temps plein. Les citoyens doivent donc se déplacer pour consulter des spécialistes, mais le transport reste un enjeu majeur pour la région (un autobus gratuit se rend jusqu’à Valleyfield). «Quand on est en région rurale, parfois le seul moyen de transport accessible, c’est le tracteur», illustre le Dr Fillion.

Le vent qui tourne

Depuis quelques années, toutefois, la ville sort du marasme dans laquelle elle se trouvait. «Depuis 2017 nous avons fait énormément de progrès […| Nous sommes aujourd’hui en plein développement résidentiel, commercial et industriel et notre population est en croissance», souligne le maire Brunette. 

Sur le plan de l’accès aux soins, les choses bougent entre autres grâce aux efforts de la Dre Fabienne Djandji, qui a ouvert en 2021 avec la gestionnaire Marie-Josée Fournier un complexe médical flambant neuf, dans un quartier en développement. La jeune médecin, qui travaillait à Huntington, s’est retrouvée à la croisée des chemins lorsque les deux propriétaires de la clinique, rendue trop exiguë et qui ne répondait plus aux besoins, ont pris leur retraite. Plutôt que de laisser le projet à des gestionnaires, la Dre Djandji et Mme Fournier ont décidé de sauter à pieds joints dans l’aventure : «On a voulu construire une belle clinique pour recruter», note la Dre Djandji. 

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Avec ses locaux flambant neuf et lumineux, la présence d’autres professionnels de la santé pour une offre plus complète (physiothérapeutes, nutritionnistes en télémédecine, etc.), l’organisation d’activités sociales, la nouvelle clinique a réussi à embaucher cinq médecins et trois infirmières praticiennes. «L’équipe est très dynamique ; avec les médecins et les infirmières, on répond mieux aux besoins des patients», affirme la pharmacienne Emmanuelle Laflamme, qui est présente au GMF une journée par semaine.

La clinique est également un milieu d’enseignement affilié à l’Université McGill, et reçoit des médecins résidents, ce qui leur permet de découvrir la région du Haut-Saint-Laurent.

La Dre Djandji multiplie les initiatives pour faire connaître la région, en participant aux salons de recrutement, et contemple l’idée d’offrir des stages pour les élèves du secondaire de la région, pour leur faire découvrir le milieu de la santé.

«Avec ses contacts, la Dre Djandji a réussi à aller chercher des gens qu’on n’aurait pas pu trouver autrement», croit le Dr François Lapointe, qui exerce au Complexe de santé Huntingdon.

Des barrières administratives

Huntingdon présente toutes les caractéristiques d’une région rurale, mais n’est pas reconnue comme une région éloignée par le ministère de la Santé et des services sociaux, ce qui complexifie le recrutement et la rétention.

Les médecins exerçant à Huntingdon n’ont tout d’abord pas accès à une prime d’éloignement.  «Les autres provinces ont tellement d’incitatifs pour aller en région rurale», compare la Dre Djandji. 

À Ormstown, à l’est de Huntingdon, l’Hôpital Barrie Memorial a aussi dû se battre pour avoir droit aux médecins de dépannage, car le milieu n’est pas considéré assez rural. La Dre Alison Brebner, cheffe des médecins à l’Hôpital Barrie Memorial, doit renouveler la demande tous les trois mois : «On prend tous un tour de garde en extra, malgré le soutien des médecins dépanneurs, car il nous manque encore deux ou trois médecins», évoque-t-elle. 

«La main-d’œuvre est là, ce sont les restrictions gouvernementales, le problème. C’est très frustrant», exprime une médecin remplaçante à l’Hôpital, qui souhaitait garder l’anonymat. Celle-ci déplore les nombreuses barrières administratives à la pratique : «On nous limite où travailler, et les actions qu’on a le droit de faire. Dans les semaines où j’ai le temps, je voudrais aider à dépanner en sans rendez-vous, mais je n’ai pas le droit», poursuit-elle.

Attirer et accompagner

Outre les efforts individuels, des comités écosystèmes ont été mis sur pied partout en Montérégie-Ouest, où députés, représentants de la région, médecin et représentants du milieu des affaires, entre autres, s’assoie pour discuter comment améliorer la région et optimiser l’aide à la population. 

Pour pallier ses besoins, la région de la Montérégie-Ouest est notamment devenue experte à recruter des médecins en France. «On sait exactement quoi faire, tellement que d’autres CISSS nous appellent  pour des conseils», s’exclame le Dr Fillion.

Avec la croissance et la diversification de la population, la ville est de plus en plus proactive pour améliorer les services et les activités, et la Dre Djandji aimerait multiplier les partenariats avec les administrations municipales pour faciliter l’installation des médecins : «Parce que si on recrute des médecins, il faut qu’ils aient des places en garderie, et un endroit où vivre!»

Malgré ces nombreux efforts, l’avenir contient son lot d’incertitudes. La réforme prochaine qui découle du projet de loi 15, risque de nuire aux régions, craint la Dre Djandji. «En éliminant les DRMG, la Montérégie-Ouest n’aura plus de voix. Le problème des régions rurales, c’est qu’on n’a pas de poids politique», plaide-t-elle.

Et l’arrivée du futur hôpital de Vaudreuil-Soulanges, une bonne nouvelle pour les Montérégiens, risque paradoxalement de rendre difficile le recrutement dans les extrémités de la région. «On n’a déjà pas assez de médecins. Ce que j’ai peur, c’est qu’on vide l’Hôpital Barrie Memorial», note-t-elle.

Une pratique différente, une vie différente

Pourtant, la pratique en région rurale a ses avantages. «C’est une belle pratique, variée. Les médecins omnipraticiens sont appelés à suivre plus de pathologies, plutôt que d’être un guichet de référencement vers les spécialistes», soutient le Dr Fillion. Avec le nombre restreint de spécialités sur le territoire, le médecin de famille devient un chaînon important. 

«On fait beaucoup de choses, et on apprend beaucoup», souligne la Dre Djandji: clinique, travail dans les écoles, CHSLD, hospitalisation, etc. Le travail d’équipe prime, pour optimiser le temps et miser sur les forces de chacun. Huntingdon étant un milieu encore aujourd’hui agricole, les patients sont différents. «Ce sont des agriculteurs ou cols bleus, qui travaillent physiquement, et qui consultent rarement. Quand ils le font, c’est sérieux, mais ils sont tellement reconnaissants», constate-t-elle. Ils n’auront souvent pas cherché tous leurs symptômes en ligne, ce qui change de la dynamique des consultations. 

La vie en campagne (mais pas trop loin de la ville) présente d’autres avantages. Prix des terrains plus accessibles, rythme de vie, plein air, absence de trafic font compétition à la ville. «J’ai habité à Montréal durant mes études, et c’était étourdissant», relate le Dr Lapointe, qui vit depuis 15 ans en région et qui a bifurqué vers la médecine familiale après avoir été vétérinaire en milieu agricole. «Il y a une proximité différente avec les patients, tu les côtoies dans la vie de tous les jours. Tu ne vois pas ça en ville», conclut-il.

Ce reportage a été rendu possible grâce aux bourses d’excellence de l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ).

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