Dre Rosemarie Chénard-Soucy: «Il faut penser avec notre tête, mais écouter avec notre cœur»

La Dre Rosemarie Chénard-Soucy s’est vu remettre le prix dans le cadre de l’édition 2023 du concours Femmes médecins d’exception, organisée le 8 mars par la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ). Psychiatre depuis 2013, la médecin est spécialisée en trouble de la personnalité, et pratique actuellement au Centre universitaire de santé McGill (CUSM). Suivant un fervent désir d’aider les patients, la psychiatre a fondé au même hôpital une clinique pour les troubles de la personnalité dans laquelle elle vient en aide aux personnes atteintes de conditions sévères et de troubles complexes. L’enseignement et l’accompagnement sont très importants pour la Dre Chénard-Soucy. En 2020, elle est devenue la directrice de l’enseignement des résidents en psychiatrie. Elle dirige également le Fellowship en trouble de la personnalité et le module didactique d’introduction à la psychothérapie. ProfessionSanté.ca s'est entretenu avec la lauréate du Prix de la relève Marthe-Pelland. Pourquoi vous êtes-vous intéressée aux troubles de la personnalité? Ce qui m’attirait le plus en psychiatrie c’était la psychologie humaine, soit le volet psychothérapeutique de notre travail et la relation avec le patient. Les troubles de la personnalité, c’est une branche de la psychiatrie où on n’a pas le choix d’aimer la psychologie et la psychothérapie parce que le traitement principal est une psychothérapie spécialisée. Actuellement, on voit beaucoup de programmes de traitement construits pour le trouble de la personnalité limite, mais très peu pour les autres troubles, comme les troubles narcissique, évitant ou paranoïde, par exemple. Ma clinique sort donc un peu du créneau plus étroit du trouble de la personnalité limite, car je m’intéresse aussi beaucoup aux autres troubles. Or, il n’y a pas vraiment de lignes directrices claires pour la prise en charge de ces cas-là, et c’est ce qui m’intéresse. Ma pratique est beaucoup dans le «cas par cas», pour comprendre la personne d’un point de vue biopsychosocial. Qu’est-ce qui vous motive le plus dans votre pratique? Explorer quelque chose qui est encore inconnu est très stimulant intellectuellement. Je suis une personne curieuse de nature. Le défi que j’aime dans ma pratique est d’arriver à connaître la personne devant moi à un niveau très profond, ce qui peut prendre des mois, voire des années. J’ai souvent des cas plus complexes et il peut être difficile d'établir un diagnostic, d’où l’importance d’arriver à comprendre la personne à travers son parcours de vie pour arriver à une explication psychologique et biopsychosociale de ce qui se passe dans sa tête, afin de lui permettre de mieux se comprendre elle-même. L’impact que je peux avoir sur les patients est de les accompagner dans cette recherche et dans cette compréhension d’eux-mêmes. Vous avez remporté un prix qui vise à reconnaître et à encourager le leadership des femmes en médecine. Que représente-t-il pour vous? Ça me touche beaucoup. Lorsque je suis devenue patronne et que j'ai commencé à pratiquer de façon plus autonome, je me suis mise à réfléchir sur la façon d'intégrer des valeurs féminines dans mon travail. Les personnes qui deviennent médecin ont habituellement des valeurs plus masculines: on préconise le sang-froid, la rationalité et le contrôle des émotions. On développe un certain détachement de la dimension affective des choses, puisqu’on nous dit qu’il faut rester «professionnel». C’est pratiquement comme si être «professionnel» signifie d’être seulement dans la rationalité, et donc que d'être émotif n'est pas professionnel. Comment alors intégrer cette dimension affective tout en restant «professionnel»? Cela a beaucoup alimenté ma réflexion personnelle tout au long de ma carrière. J’aime aussi beaucoup enseigner et le partage affectif est très important avec les étudiants. Si les résidents se sentent aimés, accueillis et en confiance avec moi, ils apprennent mieux et le meilleur d’eux-même peut ressortir. Dans ma pratique, la relation avec le patient est aussi très importante; il faut sortir de cette dimension purement rationnelle. Je crois que, comme médecin, il faut arriver à un meilleur équilibre entre les valeurs masculines et les valeurs féminines, car c'est lorsqu’il y a un débalancement qu'on assiste à une déshumanisation des soins. Il faut être capable de penser avec notre tête, mais aussi d’écouter avec notre cœur. Quels sont vos prochains objectifs de carrière? J’ai plein de rêves. Mon intention est de continuer d’être impliquée dans l’enseignement, notamment en promouvant et en développant une culture de supervision en psychiatrie. Cet aspect est important en raison de la nature du travail lié à notre spécialité. Il est nécessaire d'avoir une supervision, entre collègues ou avec un superviseur désigné. Je suis toujours supervisée par des personnes qui ont plus d’expérience que moi. Je crois beaucoup en la puissance de cette chaîne d’accompagnement qu’on crée lorsqu’on s’implique dans une culture de supervision. J’aimerais créer des outils servant à promouvoir cette forme de pratique, en plus de contribuer à la recherche sur les troubles de la personnalité.

Dre Rosemarie Chénard-Soucy: «Il faut penser avec notre tête, mais écouter avec notre cœur»

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