Crise des opioïdes: il faut faire «de la pédagogie», selon Mauril Gaudreault

Entre octobre 2022 et septembre 2023, l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) a recensé 508 décès reliés à une intoxication suspectée aux opioïdes ou autres drogues. À l’échelle nationale, il y a eu plus de 34 400 décès apparemment liés à une intoxication aux opioïdes et à d’autres substances entre 2016 et 2022, selon le Centre canadien sur la dépendance et l’usage des substances. «C’est un problème social et le Collège des médecins du Québec a pour mission de protéger le public, rappelle son président, Mauril Gaudreault. Or, il peut arriver que la prescription d’un médecin soit l'initiatrice d’un problème de dépendance chez quelqu’un.» Fort de ce constat, le Collège a lancé, la semaine dernière, un nouveau programme de surveillance générale (PSG) à trois niveaux, «pour un usage sécuritaire des opioïdes et des benzodiazépines». Piloté par la Direction de l’inspection professionnelle (DIP), ce programme vise à éviter les surdoses, les dépendances et la mise sur le marché noir de ces médicaments. Un premier outil de suivi «pour venir en aide aux médecins»C’est le premier outil de suivi mis en place par le CMQ, qui n’avait jusque-là «aucune possibilité d’identifier les médecins qui auraient des prescriptions plus ou moins judicieuses», reconnaît Mauril Gaudreault. «Nous effectuons environ 200 inspections par année, et on pouvait alors identifier une problématique chez 2 à 3% des médecins, ce n'est pas beaucoup car les inspections n’étaient pas ciblées.» Le CMQ espère ainsi détecter davantage de pratiques problématiques avec ce nouveau programme.À lire aussi: L’ABC des inspections professionnelles au CMQQue veut dire Mauril Gaudreault lorsqu'il parle de «prescription judicieuse»? «Une prescription au bon patient, avec la bonne dose et la bonne posologie», précise-t-il. «Par exemple, un médecin pourra prescrire à un patient qui vient de se faire opérer de la hanche une ordonnance d’un narcotique à prendre aux 4 à 6 heures, jusqu’à un maximum de 4 par jour, au plus bas dosage possible et pour la durée la plus courte possible. Dans ce cas-là, le patient pourrait avoir des douleurs pendant 2 à 3 semaines. L’idée n’est donc pas de rédiger une ordonnance pour 21 fois 4 comprimés, pour 80 ou 100 comprimés, mais une ordonnance de 30 comprimés pour la première semaine, 30 pour la deuxième s’il y en a encore besoin. Le tout en bonne entente avec le pharmacien.»Mais n’allez pas croire que le PSG a pour but de détecter et de sanctionner les médecins qui auraient la main leste sur leurs prescriptions d’opioïdes et de benzodiazépines. Le mot-clé ici est la pédagogie, insiste le président du CMQ. «Nous avons imaginé ce programme pour venir en aide aux médecins en difficulté, qui auraient besoin d’une formation. L’objectif est que, dorénavant, ils puissent mettre à jour leurs compétences et continuer à pratiquer de façon adéquate.» Un travail confié à la Direction de l’inspection professionnelle du CMQ.Trois niveaux de surveillanceLe programme comporte donc 3 niveaux de surveillance, selon des critères et des indicateurs de risques établis par des experts en collaboration avec la Régie de l’assurance maladie (RAMQ):Le premier niveau de surveillance doit détecter les problèmes de compétence chez un grand nombre de médecins – environ 75% des praticiens actifs sur une période de 5 ans– à travers l’accompagnement des conseils des médecins, dentistes et pharmaciens (CMDP) des établissements de santé du Québec par les inspecteurs du CMQ.Le deuxième niveau est une surveillance de l’exercice collectif pour évaluer les risques dans la pratique. Des groupes de médecins identifiés par le responsable des inspections seront déterminés selon leur lieu d’exercice, leur profil de pratique ou encore des critères démographiques. Cette surveillance plus poussée devrait concerner 20% des médecins actifs sur 5 ans. Après réception des rapports périodiques de la RAMQ concernant les prescriptions des opioïdes et des benzodiazépines faites par les médecins et leur évaluation par le responsable de l'inspection professionnelle, ce dernier établit ou non la nécessité d'un suivi individuel, soit le 3e niveau de surveillance. Ce dernier devrait être applicable à environ 5% des médecins sur 5 ans selon les prévisions du CMQ. «On parle ici d’une approche centrée sur l’aspect sécuritaire de la pratique et le maintien de la compétence des médecins», précise le Collège dans son document de présentation du PSG. Si la pratique du médecin en lien avec les opioïdes présente un risque pour la population, les inspecteurs du CMQ prendront contact avec lui pour déterminer ce qui l’amène à prescrire de telles quantités de ce type de médicament, et lui demander de leur transmettre ses dossiers.«Nous pourrions partager ce programme à d'autres professions»«Pédagogique ne veut pas dire "pas d’action", précise Mauril Gaudreault. Mais pour certains médecins, on ne pourra peut-être pas se limiter à de la pédagogie.» Les issues pourront donc aller d’une mise à niveau avec un stage jusqu’à la supervision et à la limitation de la pratique. «Il pourrait y avoir éventuellement un signalement en cas de manquement au code de déontologie, mais ce n’est pas le but de ce programme-là.» Exit aussi les plaintes disciplinaires auprès du syndic. À lire aussi: Opioïdes: les nouvelles lignes directrices américaines trouveront peu d'écho au QuébecEst-ce que ce nouveau programme de surveillance suffira à atténuer la crise des opioïdes qui touche le Québec? «Non, regrette le président du CMQ. Ce n’est qu’une humble contribution pour essayer de cerner un éventuel problème dans la communauté médicale.» Mais Mauril Gaudreault choisit de rester optimiste quant aux retombées pour le monde médical: «dans un ou deux ans, nous serons capables de dire si les médecins participent au problème ou non. Si notre programme s’avère concluant, nous pourrions le partager à d’autres professions.»

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